Darkest Dungeon
Développeur : Red Hook Studios | Graphismes : |
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Éditeur : Red Hook Studios | Sons et musiques : |
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Année : 2016 | Difficulté : |
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Genre : Frottage de cul au panicaut | Durée de vie : |
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Nombre de joueurs : 1 | Note : |
5/10 | |
Après Rain World, je continue ma phase « jeux qui me détestent »…
C’est un paradoxe que j’observe souvent lorsque je parcours la rubrique Amiga : mes jeux préférés, dans lesquels j’ai investi le plus de temps, sont souvent ceux pour lesquels je trouve le moins de choses à dire. Quelques superlatifs et puis basta, je retourne y jouer ! J’en ai honte parfois, et quand je décide de réécrire une page, plusieurs années plus tard, je me rends compte que cela me demande un effort incommensurable, qui me prend des jours (Gods et Hunter sont les derniers à être repassés sur la tablette de scribe, plus de vingt ans après leur référencement sur le site).
Et la réciproque existe, des jeux rebutants qui me donnent envie de poser ma manette pour m’épancher copieusement sur les moindres détails qui m’ont contrarié. Dans le cas de Darkest Dungeon, je crois qu’il représente le prototype de ce qui m’agace dans l’industrie du jeu vidéo, actuellement (depuis les années 2010, disons).
Précision importante : je suis un gros blasé aigri dont l’opinion est archiminoritaire, le jeu ayant connu un large succès. C’est une autre raison pour laquelle je tenais à apporter mon avis divergeant.
Darkest Dungeon adapte un genre populaire en son temps, le dungeon crawler, qui consistait à diriger un groupe d’aventuriers (quatre ou six, le plus souvent) au fin fond de labyrinthes souterrains peuplés de monstres. La survie des compagnons tenait à leur sens de l’orientation et à une gestion responsable de leurs provisions, autant qu’à leurs prouesses au combat.
L’originalité de celui-ci est d’avoir troqué le contexte traditionnel heroic fantasy (inspiré des romans de Tolkien) par un univers horrifique à la Lovecraft (ambiance rappelant l’Amérique du Nord au xixe siècle, esthétique gothique, thèmes du surnaturel et de la folie). La vue subjective a également cédé place à une représentation de côté.
Ce jeu a été pensé comme une satire, pour démonter l’image d’Épinal du héros à la volonté de fer (et au stuff de mithril) capable de triompher de n’importe quelle adversité, pourvu qu’il soit doté d’une grosse épée rutilante. Ils ont voulu appuyer sur l’aspect psychologique. Vos héros reviendront peut-être riches de leurs aventures, mais ils demeureront traumatisés (et vulnérables, quel que soit leur niveau d’équipement). L’idée est intéressante, je trouve dommage de ne pas l’avoir attachée à un concept de jeu plus raffiné. En l’occurrence, sa mise en application consiste bêtement à remplacer les jauges de faim et de soif par une barre de stress.
L’éditeur, ou en tout cas les plates-formes de distribution, décrivent ce titre comme un Rogue-like, au risque de défriser les puristes de la classification. Mon éternelle mansuétude me fera opter pour le terme plus vague de Rogue-lite, qui semble convenir tout à fait : les personnages meurent définitivement (presque), la difficulté punitive est compensée par une batterie d’améliorations incrémentales, monnayables contre différentes ressources amassées lors de vos expéditions successives, et on comprend immédiatement en visitant des donjons générés aléatoirement que les développeurs n’avaient pas envie de se fatiguer à confectionner quelque environnement que ce soit « à la main ».
J’ai regardé le documentaire sur le développement du jeu (cliquez sur le cadeau en bas à gauche) et veux bien croire que les auteurs soient passionnés, qu’ils aient réalisé leur vision sans compromis, mais pour moi, le résultat est un jeu de téléphone portable glorifié. C’est peut-être inhérent au concept de Rogue-lite. Peut-être que j’en ai simplement assez des Rogue-lites…
La première impression n’est pas bonne. Je suis désolé, en dépit des illustrations et du doublage de grande qualité, je n’ai pas ressenti « l’atmosphère » portée aux nues par les critiques positives. Je vais encore y aller de mes références de vieux schnock : je me suis attendu à un jeu semblable à Ishar, avec tous ces personnages doués de « traits de personnalité », mais finalement, il m’a beaucoup plus fait penser à The Lost Patrol et à Murder, à cause de ses mécaniques artificielles. J’avais l’impression de me trouver dans une simulation de Cluedo plutôt que dans un roman de Lovecraft.
En passant, je trouve les temps de chargement inexplicablement longs pour ce que le jeu a à offrir : des donjons unidimensionnels, minuscules, prétextes à enchaîner des « évènements » aléatoires, sans aucun caractère puisqu’ils sont produits par un algorithme, comme une grille de sudoku ; et dénués de la moindre énigme, ce qui est particulièrement frustrant pour un amateur du genre.
Comparaison amusante :
L’interface, aussi stylisée soit-elle, n’est pas non plus exempte de reproches. Une partie de la difficulté provient du manque de clarté et d’information. Par exemple, j’ai longtemps cru que la pelle s’utilisait automatiquement. Constatant que mes zèbres perdaient toujours de la vie, j’ai finalement changé de méthode, en faisant glisser-déposer la pelle dans la case indiquée, avant de cliquer sur l’icône représentant une main… Non, toujours pas. C’est quand même dingue d’avoir dû consulter une vidéo pour apprendre à me servir d’une pelle !
Autre exemple, le jeu nous présente des compétences réservées au campement, dès le début, par l’intermédiaire des feuilles de personnage, mais ne nous explique pas quand ni comment camper. J’ai cherché en vain, avant que la fonction ne soit introduite, des heures plus tard, dans des donjons de plus grande taille. En outre, je ne comprends pas pourquoi il n’est pas précisé lorsqu’une compétence qui confère un effet positif (buff, chamois en français…) s’applique au groupe entier ou à un seul personnage.
Les combats ont lieu au tour par tour. Les personnages, ainsi que les ennemis, au lieu de s’arranger en deux rangées comme à l’accoutumée (les malabars en armure : devant, les frêles attaquants à distance : derrière), se suivent en file indienne (quatre rangées de un). Original, d’accord, mais je le ressens comme une régression par rapport aux classiques du genre, une restriction artificielle pour tenter d’apporter un semblant de stratégie. Exemple : cette idiote d’arbalétrière n’est pas fichue d’utiliser sa compétence de tir primaire sur l’ennemi situé au premier plan. Pourquoi ?
D’ailleurs, un ennemi mort continue à occuper son rang, nécessitant parfois de détruire son cadavre (le tuer une deuxième fois) afin de pouvoir toucher ses copains… Sauf s’il a soufflé la chandelle à la suite d’un coup critique, ou d’un effet de saignement ou de poison, parce que dans ce cas, comme chacun sait, le corps s’évapore sans laisser de trace ! Si j’étais jeune, je dirais que la mécanique est claquée au sol…
Dans le même genre, pourquoi les soigneurs ne peuvent-ils pas soigner en dehors des combats ? La tactique d’usage, à la place, consiste à laisser le dernier ennemi en vie le plus longtemps possible, l’immobiliser, de manière à prolonger le combat et soigner un compagnon, une fois par tour… Mais c’est à se cogner le derrière au lustre !
En revanche, on a le droit de consommer des provisions n’importe quand pour restaurer un peu de santé, jusqu’à ce que le héros soit rassasié et refuse de manger davantage. Mais si deux pas plus loin, le jeu détermine que « c’est l’heure de grailler » et que vous n’avez plus rien à lui donner, il passera sans transition au statut « affamé », avec les fortes pénalités que cela implique sur sa santé et sa sanité…
Enfin, j’aimerais bien savoir quelle raison nous empêche de conserver les provisions en surplus à la fin d’une expédition. Admettons que la nourriture se gâte, mais quid des torches, pelles, clés et bandages ?
Ce sont des bricoles, me direz-vous, mais je trouve surprenant d’acclamer un jeu pour son atmosphère sans tenir compte de toutes ces décisions absurdes.
Venons-en au principal attribut du jeu mis en avant, sa difficulté, découlant largement d’évènements aléatoires (le héros rate son coup d’épée, l’ennemi lui répond par un coup critique entre les deux yeux…). Là encore, rien de nouveau sous le soleil. Wizardry (1981) s’avérait très difficile, punitif et même hautement répétitif, mais les efforts du joueur se voyaient récompensés par la découverte de trésors et une progression constante de ses héros. C’est une forme de marché qui a été rompu par Darkest Dungeon, en raison de cette vision satirique : la carotte a disparu, pas le bâton. Je serais ravi d’expérimenter une approche nouvelle, donnez-moi simplement autre chose à quoi me raccrocher : une histoire développée, des dialogues, de l’empathie pour les personnages… où un système de combat tellement amusant qu’il se suffirait à lui-même. Au lieu de cela, j’ai l’impression que les carences en matière d’imagination, de temps, de budget, peut-être de savoir-faire… sont occultées en me jetant des chiffres à la gueule, qui assouviront ma névrose, à défaut de mes attentes de joueur.
Il reste une composante notable à évoquer : la gestion des affaires courantes depuis le village, entre deux expéditions. Vous dirigez cette fois le contractant, l’héritier du Manoir au-dessous duquel on a découvert ce donjon hanté de créatures cauchemardesques. Chaque semaine, une carriole vous livre une volée de recrues fraîches. Vous vous chargez de les sélectionner, de les entraîner, de les équiper, avant de les jeter par groupes de quatre en direction des donjons. Se pose ensuite la question de « réparer » ceux qui en reviennent, parce que les « héros » deviennent fous ; parfois, désobéissent à vos ordres, volent… ça a l’air intéressant sur le papier. En pratique, les « traits de personnalité » ou les « afflictions » ne sont que des étiquettes tirées au hasard qui se collent arbitrairement sur leur feuille de personnage. Elles se retirent en cochant une case, contre monnaie sonnante et trébuchante. L’idée originale revient à une taxe qui a pour effet de rallonger artificiellement la durée de vie du jeu.
Vous vous rendrez bien vite compte, cependant, que vous ne disposez pas de ressources suffisantes pour soigner tout le monde, et devant le flot intarissable de main-d’œuvre avide et bon marché, votre sympathique PME d’aventuriers se transformera en service des ressources humaines de Starbucks… Vous finirez par lâcher dans la nature vos vétérans, pressés comme des citrons et fêlés du caberlot. Comme pour le combat, j’ai trouvé cette part de gestion superficielle et mécanique. Il n’y a aucun attachement à des personnages fabriqués par l’ordinateur.
Le plus gros problème, selon moi, est l’investissement en temps considérable, nécessaire pour pallier les inévitables mauvais coups de dés, synonymes de perte de tout ou partie d’un groupe. Vous devrez répéter les mêmes donjons pendant des heures et des heures afin d’entraîner et équiper des remplaçants. Si encore le système de combat était bien pensé et amusant, je ne m’en rendrais même pas compte ! Ici, j’ai plutôt l’impression de travailler. 90 % du temps, je m’ennuie comme un rat et les 10 % restants, je balance mon clavier contre un mur.
Après avoir perdu des semaines à développer méticuleusement une écurie d’aventuriers, à ratisser en long et en large les donjons annexes pour optimiser leur équipement, à soigner leurs bobos à grands frais… j’ai soudainement décrété que le jeu m’avait suffisamment emmerdé. J’ai pris la décision d’en finir, de lancer mes meilleurs éléments à l’assaut du Darkest Dungeon, en me disant, « ça passe ou je me casse »…
Eh bien c’est passé, ô miracle ! Et je me suis cassé.
Je terminerai par un compliment (empoisonné) : Darkest Dungeon est un modèle de marketing réussi, en dépit d’un concept original épais comme une ficelle à rôti. Je disais au début que c’est l’exemple type de ce qui me navre vis-à-vis des jeux actuels : tout dans l’habillage, et en guise de contenu, on demande au joueur d’accomplir des tâches répétitives. Au lieu d’imaginer des niveaux, on laisse l’ordinateur « générer de manière procédurale ». On en sort avec un machin insipide. La difficulté n’est qu’un artifice pour maquiller le manque d’arguments ludiques, tout comme les illustrations et la bande-son. Serait-ce trop demander de mettre un peu de cette créativité dans le concept fondamental du jeu, à savoir le système de combat ?
Je l’ai déjà mentionné dans ma critique de Subnautica (tu radotes !), l’ambiance et le hasard ne vont pas ensemble. Fonder un jeu vidéo sur un générateur de nombres aléatoires est un expédient facile, au même titre que chanter avec un Auto-Tune ou pisser un scénario à l’aide d’une intelligence artificielle. Et pourtant, ça plaît…
Dernière question, parfaitement désintéressée : pourquoi le jeu est-il toujours (en 2023) vendu sur la plate-forme GOG dans une version très ancienne, sans possibilité de le mettre à jour, et surtout, sans en informer le consommateur ?
Darkest Dungeon 2 est sorti en 2023.
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