Rain World
Développeur : Videocult | Graphismes : |
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Éditeur : Adult Swim Games | Sons et musiques : |
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Année : 2017 | Difficulté : |
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Genre : Action/Plates-formes | Durée de vie : |
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Nombre de joueurs : 1 à 4* | Note : |
8/10 | |
(*) L’extension Downpour (2023) inclut un mode « campagne multijoueur en coopération ». Sans cela, le multijoueur se limite à des arènes fermées.
Bon, en dehors de l’écran-titre (artistique et mystérieux !), à quoi jugez-vous les mérites d’un jeu ?
À ses prouesses techniques ? Je trouverais une foule de contre-exemples…
À la maîtrise de conventions qui définissent le genre ? Ce serait bien triste et tuerait tout esprit d’innovation…
Aux émotions qu’il nous procure, peut-être ?
Oui, j’ai envie de retenir ce critère. Dragon Age: Origins m’a fait rire, Subnautica m’a fait peur, Outer Wilds m’a indifféré… Et Rain World ? Il m’a fait bouffer ma cravate !
Les images et la scène d’introduction rappellent fortement Ori and the Blind Forest (2015), un jeu que j’avais trouvé séduisant mais conformiste et un peu trop cucul (pardon, « onirique » !).
Ne vous inquiétez pas, Rain World n’essaiera pas de vous coller la larme à l’œil…
Attendez, je reformule : il n’essaiera pas de vous émouvoir. Je garantis qu’il vous fera pleurer, de rage !
Certains le comparent à Hollow Knight (2017) dans le style, et à un certain Dark Souls (2011) pour sa difficulté. Ah, les jeunes… Moi, j’ai d’autres références :
Alors, qu’est-ce que c’est, Rain World ? C’est un jeu de plates-formes en 2D dans lequel vous dirigez un chat-limace, une créature fluette, positionnée au milieu de la chaîne alimentaire. Vous évoluez en liberté dans un monde de science-fiction ravagé, colonisé par une faune et une flore sauvages.
Vous n’êtes qu’un insignifiant passager d’un écosystème « indifférent » (c’est l’adjectif choisi par l’éditeur) qui n’a pas besoin de vous, et qui vous le fait comprendre sans équivoque !
Le climat également, semble vouloir votre peau. À intervalles réguliers, une pluie torrentielle s’abat sur le monde, précipitant (oh oh oh !) votre fin si vous ne regagnez pas un abri assez vite.
J’ai été attiré par ce titre, d’une part en raison de la technique unique d’animation des créatures ; d’autre part, en réaction à Vampire Survivors. Je voulais connaître l’approche inverse : un jeu qui met volontairement tout en œuvre pour repousser le joueur !
On parle souvent de « génération procédurale » pour concevoir des niveaux en nombre pratiquement infini (aux dépens parfois de la créativité), notamment dans les jeux de type Rogue-like. Diablo (1996) est un bon exemple d’application réussie. Cependant, un algorithme informatique peut servir à beaucoup d’autres choses que de générer des environnements. Dans le cas de Rain World, il peut remplacer le travail d’animateur, apprendre littéralement aux modèles en 2D à marcher ! Cela confère à toutes les créatures (et aux plantes carnivores) qui peuplent le jeu, un comportement erratique, leur donnant parfois l’air d’être ivres. Ce système de déplacement original, conjugué à la programmation de personnalités élaborées, rend la partie parfaitement imprévisible. Contrairement à un jeu de plates-formes conventionnel, où vous observez des bestioles aller et venir sur un segment prédéfini ; ici, elles ne vous attendent pas aux mêmes endroits, elles interagissent entre elles en permanence, y compris hors du champ visible à l’écran.
Les contrôles paraissent malaisés au début, parce que les mouvements de notre personnage sont procéduraux, eux aussi. Ils tiennent compte de son poids, de sa posture, du terrain, si bien qu’une même combinaison de touches amènera des résultats légèrement variables (conduisant à notre mort parfois, et croyez bien que je ne suis pas étranger à la frustration que cela implique !), mais c’est un concept assumé. La direction est qualifiée de « naturelle » ou « organique », c’est-à-dire que vous ne donnez pas l’ordre à votre avatar de marcher, vous donnez l’ordre à ses petites gambettes de prendre appui sur le sol et d’exercer une force qui le fera avancer. Croyez-le ou non, si vous persistez assez longtemps, vous finirez par virevolter partout, en réalisant de manière instinctive des pirouettes dont vous n’aviez pas idée au départ (saltos, roulades, glissades). Ce procédé autorise même certaines techniques de déplacement sophistiquées qui n’étaient pas connues des développeurs !
Cependant, je dois admettre que mes débuts ont été extrêmement laborieux, mais je me félicite d’avoir pris des notes, parce que mes premières impressions se sont atténuées au fil du temps. Voyons un petit aperçu de ce que j’ai consigné :
Ce jeu est une torture. Un concentré de douleur pure. Oppressant, déprimant, désespérant !
En tant que joueur d’échecs, et ancien pratiquant de la « défense Owen », Rain World suscite chez moi exactement le même sentiment d’anxiété et d’impuissance que lorsque je conduisais les pièces noires face à un adversaire préparé. Houlà ! C’est embarrassant.
J’ai passé les deux premières heures à me perdre et à mourir. Vous n’imaginez pas la satisfaction, la première fois que j’ai atteint mon premier nouvel abri (qui fait office de point de sauvegarde). Satisfaction de courte durée, car j’ai ensuite répété mon cycle pendant des heures et des heures : me perdre et mourir… La difficulté ne tient d’ailleurs pas tant à survivre qu’à comprendre ce qu’il faut faire.
Après un long moment, j’ai réalisé une chose. Je ne vais pas vous dire quoi, pour ne pas vous gâcher le plaisir masochiste de la découverte par soi-même (un rapport avec le « karma »). Cela m’a donné une sorte d’objectif à court terme. Je me suis mis en quête de nourriture avant de regagner mon terrier, plusieurs fois de suite. Les multiples allers-retours se sont passés différemment à chaque fois, j’ai trouvé cela remarquable. L’expérience tient plus du simulateur de vie d’un petit animal dans la forêt que de la quête initiatique d’un Ori ou d’un Hollow Knight. C’est là que j’ai commencé à apprécier l’approche unique de ce jeu : il ne suffit pas de traverser un tableau, vous devez prouver votre capacité d’adaptation à un nouvel environnement avant d’être autorisé à passer au suivant. La manière de vous « adapter » est libre : jouer à cache-cache avec les prédateurs, ou tenter de les combattre (très amusant mais risqué).
À force de persévérance, j’ai pu élargir mon « territoire », ou plutôt, ma relative zone de confort, très lentement. Je me sentais complètement livré à moi-même et à la merci du premier prédateur venu. Je progressais avec une extrême circonspection, ce qui n’empêchait pas une quelconque bestiole pleine de pattes (ou de plumes !) de tomber de nulle part et de me becter en moins d’une seconde. Il faut être constamment sur le qui-vive, et ne jamais consulter sa carte lorsque l’on se trouve à découvert. L’effort est tellement éprouvant que je n’arrivais à jouer que par courtes sessions.
Au tour des critiques, à commencer par la plus évidente, mais la plus vénielle selon moi : la difficulté est « injuste ». Oui, c’est l’idée. La nature est chaotique et arbitraire. Ce jeu est un simulateur de survie en milieu naturel (imaginaire). Un monstre peut vous bloquer le passage et décider de rester là. Un monstre peut « tomber du ciel » sur vous ou vous attraper au point de transition entre deux écrans, sans que vous puissiez rien faire. Mais les règles sont les mêmes pour tout le monde. Je ne compte pas les fois où je me suis trouvé acculé, et au moment où une créature allait me bouffer, un plus gros prédateur a fondu sur mon agresseur. Tout peut arriver. C’est ce qui crée tout le charme, c’est ce qui fait hurler, c’est ce qui procure les émotions fortes auxquelles on juge les mérites de ce jeu !
J’ai bien rigolé, une fois, lorsque j’avais un farfouilleur à côté de moi (une créature neutre), et un lézard agressif devant, qui me barrait la route. J’ai poussé le farfouilleur dans la direction du lézard, ce dernier s’est jeté dessus. Problème réglé. Passage dégagé. Chacun pour soi !
Mais la morale est sauve, parce qu’une autre fois, j’ai dévoré un insecte volant qui passait par là, dans la région des « îles célestes ». Peu après, sa mère, très en pétard, et bigrement plus imposante, m’a poursuivi sur plusieurs écrans, ajoutant au chaos, car c’est une région qui grouille déjà de lézards et de farfouilleurs. Finalement, je me suis caché dans mon abri et j’ai passé la nuit, pensant me faire oublier. Non seulement elle m’attendait toujours à la sortie pour m’assassiner, mais en plus, le fait d’hiberner a établi « un point de sauvegarde », si bien que j’ai été obligé d’affronter la situation (j’ai fui, très, très loin !).
En définitive, l’injustice, c’est ce qui instille le sel d’un jeu « non scripté ». Les développeurs eux-mêmes n’ont pas prévu ce qui nous arrive, ça laisse quantité d’aventures à vivre et d’anecdotes à raconter !
Une autre critique qui figure sur mes notes, mais elle ne tient pas non plus le test du temps : certaines carences dans le contrôle du personnage m’ont rendu cinglé. Notamment, quand on se faufile dans de petits tunnels, le personnage a cette fâcheuse tendance à entrer cul-devant (ce qui réduit sa vitesse de déplacement). J’ai découvert après des dizaines d’heures de jeu qu’il pouvait se retourner en laissant appuyé sur « saut ». Je me sentais bête et fier en même temps.
De la même manière, quand on escalade des plates-formes horizontales, les unes au-dessus des autres, il a tendance à s’accrocher automatiquement à une plate-forme verticale proche et à se déporter sur le côté, ce qui nécessite moult tentatives. Ça m’a énervé ! Jusqu’à ce que je décide, enfin, de remplacer ma manette analogique par une manette adaptée à un jeu en 2D, dotée d’une croix directionnelle digne de ce nom.
Vient la tare sérieuse, hélas : le manque de visibilité. La caméra à plan fixe ne nous permet pas toujours de discerner à une distance suffisante ce qui se trouve devant nous, et cela peut conduire à des morts artificiellement injustes. Autre chose agaçante, on ne différencie pas toujours les plates-formes « solides » de l’arrière-plan. On ne sait pas non plus quand tomber dans un trou provoque notre mort immédiate ou un changement d’écran. Enfin, j’ai sacrément du mal à diriger le personnage sous l’eau, car on ne le distingue presque plus, à tel point qu’il est difficile de dire dans quel sens il est orienté (surtout vers la fin, quand il « brille »).
Notez que c’est un jeu dont la durée de vie et la difficulté se réduisent dramatiquement si vous consultez des guides en ligne. Je vous conseille de ne pas le faire avant de l’avoir terminé (même si la tentation est grande). Néanmoins, je suis peiné d’avouer qu’il m’a fallu une soixantaine d’heures pour en voir la fin, en grande partie à cause d’une seule malheureuse décision. Les conseils qui vont suivre modéreront un peu votre souffrance. Je vais essayer de divulguer le moins possible, mais si vous voulez suivre mes pas dans ce purgatoire, sans aucune indication, je vous tire mon taff ! Arrêtez la lecture ici.
J’ai regardé une vidéo qui présentait Rain World comme un Metroidvania déguisé en jeu de survie, je pense exactement l’inverse. Peu de jeux appellent le qualificatif de « survie » plus que Rain World. Il n’y a pas besoin pour cela de jauges de faim ou de soif, ni d’une fonction de fabrication d’objets.
Mon erreur a été, justement, de réagir comme un conditionné du genre Metroidvania. Je me suis senti bloqué relativement tard dans le jeu. C’était tellement difficile que j’ai pensé qu’il me fallait retourner en arrière, trouver un nouvel objet ou une faculté qui allait rendre mon personnage plus à même de franchir cette épreuve. Résultat : j’ai écumé chaque région à sa recherche, puis j’ai tourné en rond pendant des jours, pour rien. J’ai perdu beaucoup de temps en particulier dans la « citadelle obscure » (à chasser les fantômes) parce que je venais de me « procurer » le pouvoir de luire dans le noir et il me semblait évident que je devais l’utiliser dans la zone où il fait sombre. Mes genoux ! C’est pas Metroid, le personnage n’acquerra aucune habileté nouvelle. Si vous êtes bloqué par une épreuve difficile, persévérez encore ! Parce que vous perdrez beaucoup plus de temps à faire comme moi : reculer, changer de région, vous perdre et être infoutu de revenir à cause d’un dénuement aussi total que tragique du sens de l’orientation. À vrai dire, s’il y a bien un endroit où vous serez contraint de faire demi-tour, faute de « prérequis », le jeu vous le fera comprendre « explicitement » (aïe !).
Deuxième conseil : vous avez vies infinies, profitez-en. Jouez agressivement, entraînez-vous à titiller les lézards, à sauter par-dessus ! L’entraînement vous servira tout au long du jeu.
La carte n’étant pas toujours claire (à part pour nous indiquer où l’on est mort !), je vous recommande fortement de prendre des notes, notamment pour vous rappeler quelles régions sont reliées par ces portes métalliques servant de points de jonction.
Enfin, entre les sessions de jeu, allez faire joujou avec le mode « régions » depuis le menu principal. Il vous permet d’examiner la carte sans stress. De là, vous pouvez voir quelles zones inexplorées il vous reste à visiter. C’est important de vous assigner vous-même un objectif, parce que le jeu ne va pas le faire.
J’ai démarré une deuxième partie avec le personnage du « moine » (j’ai appris à ce moment-là qu’il s’agissait d’un mode « facile »). Cette fois, je me suis autorisé à consulter un wiki et une carte. J’ai terminé le jeu en deux heures ! Mon engagement a pris un plomb. Confirmation que c’est le voyage qui compte et non la destination.
Quant à ma troisième partie, avec le « chasseur »… des monstres encore plus rapides et dangereux, de nouvelles contraintes… J’ai trouvé l’expérience jubilatoire et traumatisante dans la même mesure, mais je n’ai pas été capable d’arriver au bout. On a tous nos limites (foutue tendinite !).
Au sujet de l’histoire, c’est une autre originalité du titre, elle est à peine suggérée et demeurera, je pense, inconnue d’une majorité des joueurs. Elle commence à se dévoiler un tout petit peu en toute fin de partie. Et si vous voulez en apprendre davantage, il faudra affreusement y travailler lors des parties suivantes (en prendre connaissance sur Internet anéantit tout l’intérêt, ne le faites pas !). Personnellement, je suis assez peu réceptif aux thèmes métaphysiques abordés. En revanche, j’applaudis l’idée d’exposer l’intrigue par fragments, en récompense aux joueurs entreprenants, plutôt que de débloquer des pouvoirs ou des trucs esthétiques comme le font les autres jeux.
Vous l’aurez compris, Rain World est un titre singulier, sans concession, qui ne plaira qu’à une poignée d’acharnés, un peu comme Ecco the Dolphin en son temps (Mega Drive, 1992). Il ne demande pas tant de réflexes que de la patience et de l’entêtement. Ce qui m’a fait tenir : l’atmosphère fascinante, l’admiration devant le style d’animation expérimental… et peut-être que le fait d’avoir récemment abandonné en route Outer Wilds et Mega Man Battle Network 3 a piqué ma fierté et m’a inoculé le surplus de hargne nécessaire…
En 2023, à l’occasion de la sortie de l’extension Downpour, ils ont ajouté un mode « remix » qui propose de nombreuses options de confort réclamées par les joueurs. En particulier, il est maintenant permis de jouer avec le chasseur (le mode de difficulté le plus élevé) en s’affranchissant de cette contrainte de temps (finir sa « campagne » en moins de vingt « cycles »).
Tiens, une bizarrerie qui m’amuse, les programmeurs semblent éprouver des difficultés à faire cesser de remuer une créature morte. J’ai l’impression d’observer fréquemment, dans bien des jeux modernes, des cadavres secoués par des spasmes.
Dans le même style, je vous suggère Knytt Underground (2013), The Void (2016) et bien sûr Flood (1990).
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