Le preux Dazël, le vaillant Throwontax et moi-même, la ptite Phrunk, nous reposions depuis quelques jours déjà à l’auberge du Fort Cénarien. La charmante Yunah venait de nous quitter, rappelée vers d’autres cieux par quelque impératif ménager, et en bons trolls nous passions la plus grande partie de notre temps à nous imbiber consciencieusement de rhum explosif, au grand dam des elfes du coin, effarouchés par des rots trop virulents.
Soudain, alors que nous étions en plein séance d’ingurgitation, nous entendîmes une série d’imprécations lamentables et de geignements pathétiques se répandre dans l’air lourd et saturé de Silithus. Intrigués, nous nous dirigeâmes d’un pas incertain vers la source de cette nuisance sonore. C’était Mar’alith, le commandant du Fort, qui rampait présentement à nos pieds comme une véritable chiffe molle, le visage baigné de larmes, balbutiant quelques bribes inaudibles. Après moult rasades de rhum, il parvint enfin à nous confier les raisons de sa détresse : sa régulière, une certaine Natalia, avait disparu depuis plusieurs semaines, et pas de nouvelles. Nous étions enclins à voir dans cette absence prolongée un cas classique de cocufiage caractérisé, et nous nous gaussâmes en conséquence de cet elfe faiblichon. Cependant, poussés par notre bonté naturelle et la promesse d’un nombre conséquent de barriques à notre retour, nous consentîmes à explorer la région en quête de sa bien-aimée. Ainsi, le lendemain trouva nos armes fourbies, nos réserves empaquetées et nos canines astiquées, et nous-mêmes sur la route du Sud.
Notre première destination était le campement d’un certain Bronzebeard, un nain petit, moche et louche, comme tous les nains. Nous y rencontrâmes deux de ses acolytes ainsi qu’un singe lui appartenant, petite chose chétive et ridicule. Les deux péquenots, visiblement retardés, finirent enfin par nous indiquer, après nombre de circonlocutions oiseuses, l’endroit où la Natalia s’était aventurée quelques jours auparavant : une immense ruche bourdonnante, grouillante d’une multitude d’insectes répugnants et vindicatifs, appelée familièrement « L’antre de la folie », bref, un doux lieu de villégiature. La ruche Regal…
Sans plus attendre, nous fonçâmes plein Est, dans l’espoir d’y découvrir enfin cette charmante et volage Natalia.
Et là, des heures durant, ce ne fût que tranchage d’antennes, tailladage de chitine, coupage de dards et perçage de boyaux. Nous avancions lentement mais sûrement dans les couloirs sombrement luisants de la ruche, qui semblaient battre une pulsation lente et inquiétante, vaisseaux d’une créature gigantesque et meurtrière. L’air se raréfiait à mesure que nous progressions, se chargeant de relents méphitiques. Enfin, nous aboutîmes dans une vaste cavité circulaire où semblaient s’être concentrées de nombreuses bestioles ; et, au centre de cette salle, l’air perdu dans de tristes pensées, nous aperçûmes la fameuse Natalia, aux allures de pimbêche elfique. Ni une ni deux, nous nous débarrassâmes rapidement des créatures alentours. Une fois cela fait, Throwontax s’approcha gaillardement de la dame et, prenant son ton mielleux de séducteur invétéré bien connu des trollettes de Kalimdor, lui dit avec un clin d’œil suggestif : « Alors ma belle, on se promène ? »
À peine avait-il fini sa phrase que la charmante demoiselle lui flanquait une baffe experte, l’envoyant bouler contre la paroi opposée. Le sang du fidèle Autruchon ne fit alors qu’un tour : voyant son maître traité de la sorte, il bondit aussitôt sur Natalia et entreprît de la picorer vigoureusement. Dazël et moi, puis Throwontax quand il se fût remis de ses émotions, nous lançâmes à notre tour dans la bagarre, et le combat devint féroce. C’est que la gentille Natalia si chère au cœur du commandant Mar’alith avait quelque peu changé : pour des raisons encore obscures, elle était maintenant asservie à je ne sais quel noir dieu méchamment occulte du type démon pas beau. Quoi qu’il en soit, l’elfette se révélait être une véritable furie, et un adversaire redoutable, lançant qui plus est des sorts à tire-larigot. Autruchon eu bien du mal à contenir ses attaques, et nous ne tardâmes pas à épuiser toute notre énergie magique dans cette lutte sans merci.
L’affrontement s’éternisait, la situation devenait critique ; nous courrions en tout sens, éperdus, jusqu’à ce qu’Autruchon finisse par tomber sous les coups redoublés de l’horrible mégère. À ce moment, l’espoir commençait à nous déserter, et la sueur (froide) à couler abondamment le long de nos échines velues, lorsque Natalia s’effondra enfin, mortellement touchée. Mais nous-mêmes ne valions guère mieux ; nous avions puisé dans nos ultimes ressources pour mener à bien ce combat. Throwontax, hagard, répétait en boucle que c’était « bien la première fois qu’une femelle me faisait ça » ; Dazël, l’œil vitreux, recousait tant bien que mal l’ourlet de sa robe, tandis que je ranimai péniblement le brave Autruchon, tentant vainement de reprendre mon souffle. Enfin notre petite troupe se remit en marche, quittant ces lieux peu propices à la détente et à la franche rigolade. Heureusement, le Fort n’était pas si loin, des fleuves de rhum nous y attendaient, et Mar’alith pouvait bien se pendre de désespoir : après tout, un elfe est un elfe. La vie était belle en Azeroth, ce jour-là.